Eaux minérales : l'enquête sénatoriale révèle «une dissimulation par l’État français»

Eaux minérales : l
# 19 mai 2025 11:25 (UTC +04:00)

L’enquête dévoile que «c’est au plus haut niveau de l’État français que s’est jouée la décision d’autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron». La présidence de la République savait que «Nestlé trichait depuis des années», ajoute-t-elle.

L'affaire des traitements illicites utilisés pour certaines eaux minérales, in fine révélée par la presse début 2024, a fait l'objet d'une «dissimulation par l'État» relevant «d'une stratégie délibérée», estime la commission d'enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. «Outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l'État, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français (...) Cette dissimulation relève d'une stratégie délibérée, abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021. Près de quatre ans après, la transparence n'est toujours pas faite», souligne le rapport de la commission, rendu public ce lundi 19 mai, après six mois de travaux et plus de 70 auditions, rapporte l'APA.

Nestlé Waters, dont la direction assure avoir découvert fin 2020 sur ses sites Perrier, Hépar et Contrex l'usage de traitements interdits pour de l'eau minérale, avait sollicité à ce sujet mi-2021 le gouvernement, puis jusqu'à l'Élysée. Dix-huit mois plus tard, un plan de transformation des sites était approuvé par les pouvoirs publics, remplaçant les traitements interdits par une microfiltration fine par ailleurs controversée car à même de priver l'eau minérale de ses caractéristiques. «Malgré la fraude aux consommateurs que représente la désinfection de l'eau, les autorités ne donnent pas de suites judiciaires à ces révélations» de 2021, souligne le rapport.

Les sénateurs déplorent une «inversion de la relation entre l'État et les industriels en matière d'édiction de la norme» : «Nestlé Waters adopte une attitude transactionnelle, posant explicitement l'autorisation de la microfiltration à 0,2 micron comme condition à l'arrêt de traitements pourtant illégaux». Le rapport blâme «les échecs de l'interministériel», «le travail en silo», les ministères de la Consommation et de la Transition écologique écartés... «En définitive, c'est au plus haut niveau de l'État que s'est jouée la décision d'autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron», au terme d'une «concertation interministérielle», «dans la continuité des arbitrages pris par le cabinet de la Première ministre, Élisabeth Borne, mais sans que celle-ci ne semble informée», note le rapport.

«Nestlé trichait depuis des années»

«De son côté, la présidence de la République, loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier», ajoute la commission, qui se base sur «des documents recueillis par ses soins» : elle «savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années». Alexis Kohler, à l’époque secrétaire général de l’Élysée, avait lui aussi reçu les dirigeants de Nestlé. Lundi, la commission sénatoriale devrait publier les documents transmis par la présidence après son refus d’être auditionné. Interrogé par la presse en février, Emmanuel Macron avait démenti être au courant du dossier.

Parmi les conséquences, l'industriel a pu continuer à commercialiser son eau sous l'appellation lucrative d'eau minérale naturelle. Dans le même temps, à ce jour, il n'y a pas «de vérifications exhaustives de l'absence de traitements interdits sur tous les sites de production d'eau conditionnée», relève le rapport. La commission, parmi 28 recommandations, préconise un suivi qualitatif des nappes, «un contrôle effectif du niveau de prélèvement réalisé par les industriels minéraliers», un meilleur étiquetage pour les consommateurs. Aujourd’hui, Perrier attend la décision de renouvellement de son autorisation d’exploiter la source comme «eau minérale naturelle».

Alors que des hydrogéologues mandatés par l’État ont rendu un avis défavorable, la préfecture du Gard doit se prononcer d’ici au 7 août et, en attendant, a donné deux mois au groupe pour retirer son système de microfiltration, estimant qu’il «modifie le microbisme de l’eau produite, en contradiction avec la réglementation». Nestlé dit disposer de solutions alternatives, qu’il souhaite proposer aux autorités. Globalement, le marché des eaux minérales et de source française (104 sites, 11.000 emplois directs) représente quelque 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un rapport demandé par le gouvernement à l’Inspection générale des affaires sociales, lui aussi révélé par la presse, avait conclu en 2022 que 30% des marques d’eaux en bouteille «subissent des traitements non conformes».

AFP

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